Images d’Yves Carreau et Joëlle Labiche
Deux textes de Claude Mouchard :
Voilà, c’est là - « à la maison »
L’un et l’autre bord
Remerciements à Stéphane Doré et Günter Ludwig pour avoir soutenu cette entreprise.
Dimensions : 21 x 26 x 4 cm
Extrait du texte de Claude Mouchard
Voilà, c’est là – « à la maison
(…) Tout, dans la maison, se redécouvre toujours (en rentrant, pour la dix-millième fois) comme est prévisible un corps qu’on dénude, où l’on retrouve tout ce que comporte un corps qui vit en même temps qu’on le touche – ses endroits montrés cachés, ses organes visibles ou devinés sous la peau, tout ce qui est découvert avec inquiétude ou ravissement, des reliefs et de dangereux orifices (etc. : pour ne pas aller jusqu’à ce que deviendrait un corps qu’on dépouillerait doucement).
Intimement différencié, oui, le dedans de la maison – pour vivre avec les proches ou même, si on est seul, pour écarter les uns des autres les différents moments dont on est fait. Selon les besoins, ou les désirs, ou les états : cuisine, par exemple, wc, s.d.b., chambres... Il faut donc ces portes, il faut ces blocs d’espaces distincts, avec leur air particulier...
(La maison faite pour rythmer les écarts et mélanges entre individus et états ? Auden réclame un escalier, quelques marches au moins : « Le glissement du personnage/ avec immatriculation, nom et prénom, / à l’Adam ou l’Ève nus, et inversement,/ ne doit pas être désinvolte ou abrupt : un escalier le retarde... » )
Enfant, on a place dans les prévisions des autres. Mais on sait, avec un autre flair qu’eux, s’interroger sur ce « dans ».
Questions-palpations élémentaires affamées (joue contre la vitre, à hauteur, peut-être, des platanes) : comme ça tient, pourquoi, qui l’a voulu, qui l’a fait...
Et la peinture sur les cloisons, ou le papier (l’excitation quand on changeait cela, les odeurs fraîches), tout près de la peau, les traces figées du pinceau, des empreintes dans le mastic, des éraflures, des décollements. Et il y avait du secret très pauvre, des complicités avec ces consistances – et de la peur, à croire sentir un sang d’encre, celui du souci, battre dans les murs mêmes...
Et maintenant... : soulever de l’ongle la peau du mur, ou bien y écrire au crayon rouge – oui, là,
sur cette peinture bleue-usée, brièvement illuminée par les rayons d’un soleil bas qui affluerait (avec des cris de mésanges acharnées à crever le papier du beurre sur le bord de la fenêtre ouverte)
d’au-delà des maisons voisines ou à travers les branches d’un grand sapin – une demeure agitée d’oiseaux...
(…)
Claude Mouchard, décembre 2002