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Les chroniques /
Marguerite Dewandel

L’emprise de la collecte


DOC. 3156-5/250811 Orléans

Ils sont très différents et parler d’eux n’est pas entreprise facile.
Un soir, il entendit Élie qualifier Louis de silencieux marcheur-collectionneur.
Comme l’assemblée lui demandait d’aller plus avant dans cette tentative de portrait, il promit d’y réfléchir pour la semaine suivante.
Dès le lendemain, ils reçurent tous ce texte que Maxime garde depuis lors au même titre qu’une belle photo d’un ami cher vivant au loin.

« Il marche sur le bitume des trottoirs. Il voit tout ; rien de ce que les autres ignorent, ne lui échappe.
Il avance avec un détachement affecté mais chaque détail constituant le sol lui est familier : rugosité d’une empreinte, patine du revêtement usé.
Il progresse sans effort, poussant par le rythme de ses pas le sol qui semble se dérouler et découvre tour à tour des signes incompréhensibles, des aplats paisibles, des vestiges de peinture altérée.
Il aperçoit plus loin, sur le bord de la voie quelque objet abandonné poussé là par la vague des voitures. Morceaux de machines, pièces de moteur, reliquats mécaniques cuits et noircis par la chaleur du moteur, se confondent avec la couleur du goudron.
Pourquoi les ramasser et les mettre dans sa poche ? Pourquoi les sauver du destin qui leur est réservé ? Que s’agit-il de sauver ?
Il ne connaît pas les réponses et continue cette tâche quotidienne espérant secrètement découvrir plus tard une raison plausible à ce manège.
Il y a longtemps, la chambre était vide, et blanche. Puis dans des vitrines de verre, il a rangé les reliques noires, parfois selon une organisation perceptible, souvent en les entassant sans dessein.
Ils le trouvèrent souvent campés devant ces vitrines, silencieux, figé.
Il leur dit que ces objets par-delà leur forme, leur couleur et leur origine, l’inquiètent.
« Ils tiennent dans ma main, ils sont à ma merci et pourtant rassemblés et observés à distance, ils changent d’échelle. Massifs, compacts, ils semblent s’organiser à mon insu et me dominer.  » nous dit-il un soir.
« Que sont-ils ? Ma main en les choisissant les a inventés. Ils étaient sans importance. Maintenant avec eux j’ai affaire. »
Il se demande souvent comment rester le maître, comment dépasser cette fascination futile.
Naguère, il a pris la décision d’arrêter, de les laisser sur le bas-côté, de poursuivre sa marche en les oubliant. Pourtant, il continue de rentrer les poches pleines et de guetter ces choses pour déceler leur vérité. »

La réception de ces lignes les laissa tous perplexes. Bien sûr cet épisode eut lieu après ce qu’ils appellent tous La période de Conscience mais il ne semble pas que le trouble qui accompagne ce souvenir ait à voir avec son secret.

M.D. juillet 2012