Encore, regarder quelques dessins…
Il s’arrête.
Il songe une nouvelle fois à « Window of Appearances from Akhnaten » de Phil Glass. La musique remémorée dessine un mouvement proche de celui d’une feuille de papier qui se déplierait sans fin, découvrant à chaque fois des variations vertigineuses. Elle accompagne ses pensées, précède le flux de sa rêverie errante comme un chien sans laisse dont le maître aurait depuis toujours refusé toute autorité.
Il aime ces mouvements qu’il assimile à des vagues tantôt vives même violentes, tantôt molles et caressantes.
Quelques pas…
Il repense à sa rencontre avec Apolline Tarbouriech. Elle lui avait demandé gravement, levant les yeux vers lui, combien de bougies il lui faudrait poser sur le gâteau de son prochain anniversaire. Il lui annonce un chiffre. Pendant quelques secondes elle se tait et lui demande de compter à voix haute. Les nombres se succèdent. La scansion initialement maîtrisée est troublée progressivement par ce qu’il observe chez l’enfant qui reçoit chaque étape comme une nouvelle forme imprévue. Elle s’amuse de l’empilement des sons, demande que ce soit répété et s’éprend de la longue comptine que l’énumération des années est devenue.
Elle reprend doucement, chuchote les nombres pour les ancrer dans sa mémoire, souvent dans le désordre mais toujours avec le même rythme et le même sérieux.
Ce sentiment d’un ordre perceptible mais énigmatique, il l’a ressenti lui aussi face aux dessins que Louis lui a montré hier. Il lui a confié que M. Ker lui avait parlé de ces séries de dessins en août 1986 les qualifiant de baroques ; il n’avait pas vraiment compris à cette époque.
Plus de vingt ans après, il perçoit ce sur quoi M. Ker voulait attirer son attention : un jeu de formes, du simple au complexe organisées en « déplis » successifs jusqu’à la saturation de la surface qui nécessiteront pour les appréhender un mouvement des yeux et du corps pour mieux accommoder le regard. Pas moyen de comprendre pourquoi ce qui a l’air simple dans son mode de répétition, se révèle inquiétant pour l’articulation des différentes factures.
Louis qui n’aime rien tant que partager ses découvertes, lui a proposé de revenir pour les examiner…
Encore une promenade matinale qui s’achève. Il rentre en prenant soin de poser ses pieds au centre de chaque dalle du trottoir, imposant ainsi un rythme à son pas qui l’apaise.
M.D, juillet 2011