L’apparition du personnage
Ce qui a été ou aurait pu être.
Marguerite Dewandel
Paris, 20 mai 2013
Je pense souvent à Bruno Gantz se penchant sur mon épaule, chuchotant quelques mots en allemand que je ne comprends pas.
Trois + un
Vous me dîtes que certains enfants pour pallier leur désarroi, inventent des compagnons, des frères, des amis en lieu et place de mages.
J’ai rencontré des solitaires d’esprit et de cœur dialoguant avec les morts, d’autres s’adressant à une descendance qu’ils n’auront jamais.
De fait, moi aussi imprégnée de cette vision biaisée du réel, j’ai insensiblement inventé une compagnie au gré de mes lectures, instituant une proximité avec des héros que je ne rencontrerai jamais : Walter Benjamin, Virginia Woolf, Nick Carraway, l’ami de Gozô Yoshimasu, Eduardo Arroyo, Thoby Stephen, le Gilles…
Bien que fantomatique, leur présence tangible à mes côtés s’est imposée avec force et une évidence désarmante. Elle est constitutive de ma propre existence que je tente de comprendre en relatant mes échanges avec eux.
La collection des récits Portrait du personnages en hommes est un peu l’instrument de cette exploration.
Maxime Darfonville, Louis Soufier-Deleure et Élie Pontpuiseux en sont les acteurs principaux.
Louis Soufier-Deleure
« La mère d’Élie lui apprit, dès la plus petite enfance, à endosser le rôle de l’Autre, pour envisager son point de vue et mieux se repérer dans toute situation complexe et déroutante parce qu’inhabituelle. Plus tard, il établit ce penchant en principe de vie, ce qui l’amena à imaginer des anecdotes voire des scenari pour dénouer l’incompréhensible. Par voie de conséquence, écrire lui permet de préciser et de re-dessiner les images flottantes de ses rares souvenirs d’enfance trop « flous », trop « gris », trop « gazeux ». »
Élie Pontpuiseux
« L’œuvre de Richter m’est apparue comme une métaphore visuelle de la quête du souvenir perdu, flou, gris, gazeux. Peindre semble participer de la saisie de ce qui se dissimule. Ne sachant pas peindre et n’en n’ayant pas le goût, je choisis de vivre en écrivant. »
Maxime Darfonville.
Maxime se plaint souvent de son absence de mémoire, tout en ajoutant très vite que cela est sans doute une force qui lui permet de moins souffrir : pas de souvenir, pas d’amertume.
Il a définitivement choisi d’occuper ce théâtre flou, gris, gazeux qu’il partage avec ceux qu’il a élu.
Louis est à même de comprendre cela, lui qui a fini par tout inventer .
Les Chroniques sont l’espace où sont relatés les épisodes.
Sont appelés épisodes, les visions, et les songes à l’origine des récits.
Souvent imprévisibles, ces fables se manifestent avec fulgurance et il est souvent difficile d’en saisir tout l’accomplissement.
La confusion qui régit leur émergence a imposé des part-pris d’écriture.
Selon une périodicité plutôt régulière, les textes se sont ajoutés aux textes dans un empilement exempt de plan préexistant. Le seul point commun conscient de ces fragments est la présence plus ou moins affirmée de trois personnages et d’un narrateur jamais nommé sinon quelques fois sous le code « n-le 4e homme ».
Ces chroniques rapportent leurs relations et des anecdotes biographiques sans lien apparent sinon qu’ils en sont les principaux protagonistes.
Tous les moyens en œuvre permettent en se croisant d’installer, d’exposer des atmosphères, des impressions, et ceci toujours par les périphéries pour suggérer un centre.
Pour finir ?
Rien n’aurait été possible si, très enfant, je n’avais rencontré un conteur.
Chez mes parents, logeait un homme à tout faire que je rencontrais au cours des repas qu’il partageait avec la famille.
Sa capacité à re-dessiner son quotidien - sa mythomanie - choquait tout le monde.ils qualifiaient cette tendance de mensongère. Moi, après m’avoir intriguée, elle me ravissait.
Ce personnage m’a permis de découvrir une façon de vivre fondée sur une lecture décalée des événements, amenant à gommer le désagréable, le pénible pour ne garder que le merveilleux et la jubilation de le narrer.
Si longtemps, cela n’a été qu’un moyen de vivre mieux, cette tendance m’a conduit à l’écriture à un moment où songer ne suffisait plus. Il fallait fixer, écrire cette vie intérieure pour garder le cap.
Et ce fut un plaisir de commencer cela.
J’ai très vite su qu’il y aurait des versions successives du recueil de ces textes. Il y aurait des reprises, des recommencements qui me donneraient la futile et illusoire impression d’une éternité possible.
Envisager la fin de ce travail est impossible, car y mettre fin signifierait décider d’en finir.